Les autorités nazies et leurs régimes collaborateurs essayèrent par tous les moyens de détruire les groupes de résistance. Quand ils arrêtaient des résistants réels ou supposés, ils employaient souvent la torture pour les forcer à leur communiquer des informations sur leur identité, leur groupe et leurs activités. Il pouvait s’agir de violences physiques, commencant par des coups, et de torture psychologique, comme des menaces de s’attaquer aux membres de la famille si la personne refusait de parler. Les résistants arrêtés se trouvaient dans une situation terrible. Ils savaient que s’ils parlaient, cela conduirait certainement à l’arrestation d’autres personnes et probablement à leur mort. Certains ne parlèrent pas du tout, d’autres tentèrent de ne livrer que des informations partielles ou non essentielles, d’autres encore choisirent le suicide pour ne pas parler. Et beaucoup parlèrent. Peut-on blâmer une personne pour cela lorsqu’elle est torturée ? Les groupes de résistance étaient conscients que la plupart des personnes parleraient sous la torture. Dans la résistance française, par exemple, la consigne était d’essayer de résister aux interrogatoires pendant au moins deux jours. Cela permettrait de gagner du temps afin d’avertir les autres et de réorganiser le groupe.
Il est souvent difficile de savoir dans quelle mesure une personne arrêtée a parlé ou non. L’historien Marc Bloch, un des leaders de la résistance lyonnaise, fut arrêté en mai 1944, torturé par la Gestapo puis exécuté. Ses amis racontèrent plus tard qu’il avait gardé le silence. Une transcription de son interrogatoire par la Gestapo retrouvée 60 ans plus tard montre que ce n’était pas le cas, mais aussi qu’il avait essentiellement fourni des informations que la Gestapo connaissait probablement déjà, et qu’il avait évité de nommer autant de personnes que possible, à moins d’être sûr qu’elles avaient déjà été arrêtées ou qu’elles se trouvaient hors de France, où la Gestapo ne pourrait pas les arrêter.
Les résistants arrêtés devaient également vivre avec la peur que leurs camarades pourraient penser qu’ils avaient parlé pendant leur détention. Vjera Fabijanić était étudiante en droit et membre du Parti Communiste Yougoslave et du Comité local du Comité de libération du peuple de la ville de Zagreb ; elle fut arrêtée, torturée et détenue dans une prison oustachie. Elle réussit à y broder secrètement un message dans un morceau de tissu, destiné à sa mère: “Maman, j’ai été courageuse (…). Je n’ai jamais trahi personne ni donné aucune information.” Vjera Fabijanić fut exécutée comme otage après une attaque des Partisans contre les Allemands près de Kruševo en décembre 1944.
Comment était-il possible de ne pas parler ? J’ai posé cette question à Branko Petrina qui avait été torturé par les Oustachis. “Nataša”, me répondit-il, “ce n’était pas une décision consciente de ma part de ne pas parler, j’étais simplement sans voix et je ne pouvais pas dire quoi que ce soit. Pas après avoir été battu, pas après qu’ils m’aient arraché les ongles des mains et des pieds, pas après les menaces que toute ma famille serait envoyée dans un camp… La meilleure chose pour moi était de perdre conscience après avoir été torturé, et la pire, ce fut quand ils versèrent de l’eau froide sur moi pour me réveiller.”
Nataša Mataušić & Nicolas Moll