Entrée au panthéon en 2021, Joséphine Baker incarne la Résistance de la première heure en France. L’originalité de son engagement tient dans le fait qu’en 1939, cette Noire américaine est une star du « Tout Paris ». Danseuse, elle séduit immédiatement le public en 1925 dans la « revue nègre », spectacle dans lequel elle joue nue et ceinte de bananes. Éclectique, elle se lance aussi avec succès dans la chanson et le cinéma. En 1936, elle épouse un industriel juif, Jean Lion, qui lui permet d’obtenir la nationalité française et la sensibilise sur l’antisémitisme : adhérente de la LICA (Ligue Internationale Contre l’Antisémitisme), on la croise dans des meetings et, lorsque la guerre éclate, l’artiste vient chanter sur la ligne de front pour «entretenir le moral des troupes». Son patriotisme affiché lui vaut d’être approchée par Jacques Abtey, officier du service de renseignement français chargé de recruter des personnalités dignes de confiance pour recueillir des renseignements sur l’activité ennemie. Joséphine Baker accepte sans hésiter et, dès 1939, devient espionne. Son action consiste à fréquenter des réceptions et recueillir des informations sur les intentions allemandes.
Lorsque la France est occupée en juin 1940, l’artiste soutient sans hésiter le Général De Gaulle. Elle s’installe au château des Milandes en Dordogne proche de la ligne de démarcation qui devient rapidement un repaire de résistants et des juifs. A partir de 1941, c’est de l’autre côté de la Méditerranée que Joséphine Baker poursuit ses missions d’espionnage, à Alger puis Casablanca, alors sous contrôle de Vichy, et participant également à des tournées de concerts pour les troupes françaises et anglo-américaines dans tout le Maghreb et au Proche-Orient. A partir de novembre 1942, son image est largement utilisée par la propagande de la France libre. Cette activité protéiforme, l’artiste la complète par une autre compétence : l’aviation. Passionnée par l’air, elle apprend à piloter dès 1935 obtenant son brevet qui lui permet de rejoindre les rangs des Forces Aériennes Française Libres en mai 1944 avec le grade de sous-lieutenant. C’est en résistante qu’elle débarque à Marseille puis chante à Belfort le 20 novembre 1944 pour les troupes du général De Lattre de Tassigny.
Tous ces faits d’armes mettent en relief l’intensité de l’activité d’une artiste alors que d’autres vedettes françaises telles Edith Piaf, Arletty, Danielle Darrieux ou Suzy Delair ont des attitudes douteuses avec l’occupant. C’est avec cet esprit de résistance, parée de ses médailles et honneurs militaires que cette Américaine noire devenue française illustre prend la parole à Washington en 1963 pour soutenir la Marche de Martin Luther King en faveur de l’égalité des droits des Noirs américains. Elle restera jusqu’à sa mort en 1975 une voix pour la paix et la fraternité.
Yvan Gastaut